appropriations
généralisées

----

Ces phénomènes d'appropriations peuvent être vus comme symptomatiques de notre époque. En effet, si ces pratiques ont toujours existées, elles ont réellement pris leur essor au XXe siècle, notamment par le biais des arts (visuels, musicaux, littéraires…)
où des notions telles que la référence, l'imitation ou la copie se sont vues alors, bien plus qu'auparavant, affirmées et assumées.
En grande partie, ces modes opératoires ont été forgés par les techniques se développant, notamment la reproduction (et donc l'accumulation) et les flux d'informations grandissants.

« L'accès à l'information, son retraitement et sa circulation, sous quelques formes qui soient, caractérisent les pratiques artistiques et culturelles, autant que les échanges économiques et financiers contemporains. […] Le principe d'accessibilité pourrait bien faire que la connexion supplante le capital, l'immatériel l'actif. »1

Dès lors, une telle accumulation et une telle circulation de données fournissent de
la matière aux pratiques culturelles.
« Comme le constatèrent des critiques tel Jameson au début des années quatre-vingt,
la culture ne cherchait plus à ‹ faire dans la nouveauté ›. Le recyclage et la citation sans fin des contenus des anciens médias, de leurs styles et de leurs formes artistiques prirent l'allure d'un nouveau ‹ style international › et d'une nouvelle logique culturelle de la société moderne. Au lieu d'accumuler toujours plus d'enregistrements de la réalité, la culture d'aujourd'hui retravaille, combine et analyse les matériaux déjà accumulés. »1
Fredric Jameson écrit d'ailleurs également que la production culturelle postmoderne
« ne sait plus regarder le monde réel de ses propres yeux et qu'elle doit, comme dans
la caverne de Platon, dessiner sur les murs qui l'enferment l'image mentale qu'elle a
du monde ».2

« Les techniques de cette ‹ pensée interprétative ›, qui se sont réparties dans tous les domaines de la pensée, impliquent une nécessaire disponibilité des signes (archivage3), puis leur redistrubution (recyclage) dans une topographie du sens qui se manifeste par l'avènement d'une dimension de commentaire, de reprise, de citation. »4

Ces phénomènes opèrent alors des glissements et des bouleversements notoires
dans les pratiques culturelles, redéfinissant la pensée, les modes de fonctionnement
et les arts.
« Le ready-made duchampien, le multiple warholien, l'objet sonore schaefferien, le mixage du DJ, et, à leur suite, toutes formes d'appropriation, de détournement ou d'inclusion constituent autant de marques de déplacements opérés par des individus ou des groupes dans le champ de l'art, dont les contours se trouvent ainsi re-déterminés. Mis bout à bout, ces gestes dressent un inventaire des postures de la conquête et les diverse positions qui en résultent vont servir à leur tour, une fois établies, à pointer les glissements opérés symboliquement entre différents régimes de production (de l'auteur au producteur,
de l'œuvre au produit, du fini à l'inachevé, du son au silence…). »4

« C'est à la croisée de différentes définitions de l'œuvre, certaines allant jusqu'à instaurer sa négation, que l'on peut comprendre et mesurer l'importance que l'on accorde aujourd'hui aux pratiques citationnelles dans l'art. En effet, si celles-ci, sur un plan esthétique, sont totalement intégrées, et ce depuis fort longtemps, aux différents régimes de production des œuvres au point d'en constituer parfois un régime propre, elles se situent en apparente contradiction avec les définitions juridiques et sociales de l'œuvre. […] Les études et propos qui s'intéressent à la conjugaison, selon les canons occidentaux, de l'emprunt et de la citation avec les notions d'authenticité et d'originalité (qui se réfèrent à l'auteur et à l'œuvre), ou bien encore à la résistance de la définition sociale de l'œuvre (héritée du XIXe siècle, forme unique ou nombre limité d'exemplaires) devant ses fragmentations et ses nombreux démembrements irriguent ainsi la réflexion contemporaine. (...) le prisme citationnel, non content de faire vaciller la notion d'œuvre, devient l'outil principal d'une possible re-définition de l'art. »5

Si l'on revient en arrière, on constate alors que le point de départ de ces phénomènes
est essentiellement provoqué par les nouveaux paradigmes technologiques instaurés
par l'avènement de l'ère de la reproductibilité technique.





1. BEAUVAIS, Yann, et Jean-Michel, BOUHOURS,
Monter/Sampler : l'échantillonnage généralisé,
Éditions du Centre Pompidou, Paris, 2000

2. Frederic Jameson cité dans Monter/Sampler : l'échantillonnage généralisé, Éditions du Centre Pompidou, Paris, 2000

3. Voir les parties
« La collection et l'archivage de livre »,
« La collection et l'archivage en musique »,
« Référentialité et distributivité ».

4. KIHM, Christophe, « Frontières et pensée interprétative »,
in Sonic Process, une nouvelle géographie des sons,
Éditions du Centre Pompidou, Paris, 2002

5. KIHM, Christophe,
« Entre l'esthétique et le social, la citation à l'œuvre »,
in Sonic Process, une nouvelle géographie des sons,
Éditions du Centre Pompidou, Paris, 2002



↑ haut de page



Fredric Jameson, important philosophe et critique littéraire, particulièrement connu pour son analyse des courants culturels contemporains et ses travaux sur le postmodernisme.