drum'n bass

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La Drum 'n Bass (aussi appelée Jungle, surtout à ses débuts et dans sa version teintée
de ragga), est apparue en Angleterre au début des années 1990. Elle est caractérisée par des breaks syncopés et ultra-rapides, et des lignes de basses surpuissantes à très basses fréquences.

Quand la techno et la house des mouvements rave se durcissent pour devenir ce qui était appelé du hardcore, certains décidèrent d'insuffler des breaks dans les rythmiques en s'inspirant du hip-hop et en le mélangeant aux tempos infernaux de ce nouveau genre.
Les breakbeats de funk distordus et accélérés à l'extrême créèrent alors des rythmes syncopés. Tout cela était assez révolutionnaire et à contre-courant de ce qui se faisait alors ailleurs. Cette musique se distordit de plus en plus, se contorsionna, fut triturée, fracassée… dans une forme qui fut appelée dark sound, avec des groupes comme
4Hero, Nebula ou Nasty Habits.

Mais c'est surtout « la montée en puissance des outils de manipulation du son »1 qui fit basculer le hardcore vers la drum 'n bass.
En effet, les protagonistes du genre récupérèrent le sampler Akai S1000 qui offrait
« une nouvelle fonction appelée time-stretching, qui permettait d'augmenter le tempo
d'un échantillon sans que celui-ci ne monte dans les aigus. Il n'est pas exagéré de dire que la drum and bass n'aurait jamais pu naître sans cette boîte et sa descendance immédiate ».1 Cet outil permit alors d'augmenter les rythmes des breaks et les rendre frénétiques tout en conservant leurs tonalités. Il permettait de « revendiquer une parenté avec l'ancienne école des manipulateurs de rythmes tout en annonçant l'arrivée d'une nouvelle génération », de réactiver certains principes du hip-hop à travers le paradigme
des nouvelles technologies.1
Mais la drum'n bass ne partage pas uniquement le travail rythmique avec le hip-hop mais aussi son aspect social et urbain : elle est également le reflet des quartiers moroses et déshérités des villes anglaises.

Avec les possibilités du time-stretching, un nouveau champ de recherche était déterminé : la science du breakbeat.
En effet, entre les mains de ces artistes, cette fonction conçue à l'origine pour corriger légèrement les défauts de notes et d'enregistrements se voit détournée et réappropriée pour étirer ou contracter les rythmes, les accélérer à volonté, les fragmenter et les réassembler de manière infinitésimale et précise dans n'importe quel ordre…
« Les breakbeats accélérés sont réverbérés, traités, passés au time-stretch, devenant
des bips sonores qui grattent et démangent, évoquant la télécommunication frémissante
des mandibules d'un monde d'insectes. Les polyrythmies sont entassées, et l'on a oublié la manière ‹ correcte › d'organiser le rythme : c'est un clash sonore spasmodique de mesures incompatibles »2
Autre fait important : certains producteurs tout en accélérant les parties rythmiques conservaient les basses ronflantes issues du dub à un tempo de moitié plus lent
et le genre possède alors « le potentiel de créer deux temporalités au même moment,
half-time et double-time. »3
La technologie permet alors à la musique de se déployer dans des dimensions jusque-là inconnues : « Lorsque des cyborgs tels que 4 Hero, Photek ou Amon Tobin construisent avec soin une architecture abstraite d'espace-temps à partir de nano-beats qui ont été raccordés et coupés en cubes dans un Moulinex numérique, on sent également que la musique est sur le point de déplier une nouvelle et étrange dimension non euclidienne
du rythme. »4 Et les protagonistes prennent alors un malin plaisir à passer des nuits entières à triturer leurs samples dans tous les sens, jusqu'aux limites des machines et de l'audition, notamment Goldie qui explique : « nous abâtardissons les samples. Je suis passé maître dans l'art de distordre les samples avec une telle perversité que tu ne les reconnais même plus, même quand ils sont extraits d'un de tes propres disques. »5

Vers 1992, ce dernier sort ses premiers morceaux, Terminator et Angel, accompagnés
à la même époque par les productions du label Moving Shadow, le groupe Foul Play,
et Omni Trio qui « poussait à l'extrême la complexité rythmique de la musique » et dont les membres « furent les premiers à construire leurs rythmes à partir de samples percussifs distincts ».1
En 1993, Danny Breaks réalise Droppin Science, hymne à la pratique chirurgicale du breakbeat et ensuite, Goldie, devenu figure de proue du mouvement sort son album Timeless en 1995, emblème du courant et véritable déchaînement de rythmes.
Plus tard, en 1997, Roni Size, dans New Forms, complexifie encore les rythmes
en entrelaçant plusieurs boucles rythmiques distinctes.

La drum'n bass connut également une myriade de sous-genres :
Dès le début des années 1990, LTJ Bukem adoucit les rythmes et les fond dans des nappes atmosphériques délicates et fluides et crée ainsi la liquid drum'n bass.
Au même moment, d'autres, comme M. Beat ou Shy FX, la mélangent au ragga et au dub, formule qui fit succès et qui est souvent désignée par le terme jungle. Plus tard,
à la fin des années 1990, le jump-up émergea, revenant aux sonorités hip-hop et funk,
et plus orienté vers le club et la danse. Ce fut ensuite un retour à des styles proches du dark sound, avec d'abord le techstep, bouillonnant et menaçant (Ed Rush, Panacea…), puis le neurofunk, plus froid et chirurgical (Optical, Photek…).

La drum'n bass intéressa aussi très vite les artistes expérimentaux de l'electronica et
de l'IDM
qui s'en emparèrent et la reconstruisit à leur manière, « fascinés par le nouvel espace rythmique qu'offrait cette musique ». Des producteurs tels que Aphex Twin, Luke Vibert ou encore Squarepusher la firent évoluer vers les courants intelligent drum'n bass
et drill'n bass, où les programmations virtuoses poussaient encore les complexités rythmiques (les rendant plus désordonnées et moins régulières) et imprégnaient les morceaux de nouvelles textures.

Enfin, au milieu des années 1990, une frange de compositeurs commença à ralentir les rythmiques drum 'n bass, tout en gardant leur organisation syncopée et leurs textures,
et en tendant vers des structures dub et hip-hop : il s'agit du UK garage dont découlèrent quelques années après des courants comme le dubstep.





1. SHARP, Chris, « Jungle », in Modulations, Une Histoire
de la musique électronique
, Allia, Paris, 2010

2. REYNOLDS, Simon,
Art Forum, 1994

3. LASWELL, Bill, cité dans
Modulations, Une Histoire
de la musique électronique
, Allia, Paris, 2010

4. DAVIS, Erik, « Polyrythmie, cyberespace et électronique noire »,
in
Sonic Process, une nouvelle géographie des sons,
Éditions du Centre Pompidou, Paris, 2002

5. Goldie cité dans SCHÖNY, Roland, « L'objet sonore dans le langage de la matrice numérique », in
Sonic Process, une nouvelle géographie des sons, Éditions du Centre Pompidou, Paris, 2002




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