représentation
visuelle du son

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Le son est tout d'abord représenté visuellement en tant que phénomène physique, par le biais de formules mathématiques retranscrites en graphiques et en diagrammes. Cela se fait principalement par l'analyse des fréquences des ondes sonores par rapport au temps (spectre sonore). Les représentations les plus courantes sont le spectrogramme (diagramme associant à chaque instant t d'un signal, son spectre de fréquence), l'oscillogramme (étude graphique d'un signal électrique) et le sonagramme (image
d'un signal dans une représentation fréquence-intensité, en fonction du temps).

« La structure du signal musical est exprimée objectivement par la représentation tridimensionnelle : fréquence f, amplitude A, temps t, qui en donne seule une image complète au physicien, ou par l'anamorphose logarithmique de ce diagramme : hauteur H, niveau Ln durée 0, qui en exprime l'aspect psychophysique. »1

La représentation en spectrogramme a récemment inspiré le studio Us pour la réalisation du clip d'un morceau du musicien Benga.
« Il en aura fallu des vinyles pour réaliser le dernier clip de Benga, 960 pour être précis…. et pas que des 33 ou 45 tours. Pressé, puis coupé, mesuré, indexé, trié et stocké, chacun de ces disques microsillons a sa place dans cette vidéo réglée comme du papier à musique. Et pour cause, le duo de réalisateurs Us (composé de Christopher Barrett et de Luke Taylor) a proposé à l'artiste anglais de lui faire une vidéo en stop-motion impliquant des vinyles, qui une fois assemblés les uns aux autres, formeraient le spectrogramme de son titre, I Will Never Change. Travail monstre et fastidieux de comptage et de préparation technique qui a duré sept jours, le tournage et montage
de la vidéo en elle-même n'auront finalement duré que 30 heures. »2

Dans le domaine de la musique, très vite les artistes durent trouver des systèmes graphiques pour conserver leurs créations. En effet, la notation musicale était le seul moyen d'archiver une œuvre sonore avant que l'enregistrement soit possible.
On en trouve des traces dès les débuts de l'écriture. Cependant le système le plus courant – la partition composée de portées à cinq lignes – date du moyen-âge. Il sert
à retranscrire les notes de la gamme et reste encore aujourd'hui le moyen le plus utilisé dans la plupart des musiques.

Cependant, face aux expérimentations sonores et compositionnelles du XXe siècle,
ce système apparaissait obsolète et n'était pas apte (et trop restreint) pour retranscrire certaines musiques.
« La notation musicale est devenue un secteur d'intervention plastique privilégié, en même temps que l'écriture musicale classique volait en éclats, et nécessitait, finalement de nouveaux modes de représentations. »3
Des compositeurs tels que John Cage, Karlheinz Stockhausen, Marco Fusinato, ou encore Earle Brown développèrent alors des méthodes de partitions graphiques, permettant de plus grandes possibilités et laissant davantage de libertés.
Pour Stockhausen, la réalisation graphique de ses partitions semble aussi importante
que sa musique elle-même :
« Dès mes débuts de compositeur, j'ai réalisé que la précision du dessin était essentielle pour une exécution sans faute de la musique. Je me suis attelé à cette tâche pour chacune des 330 œuvres créées à ce jour. Que restera-t-il de moi à la fin de cette vie ? Avant tout des partitions. Elles doivent donc être sur le plan graphique aussi limpides
et belles que possible. »4

Aujourd'hui, les pratiques de la plupart des musiques électroniques contemporaines se sont totalement affranchis des systèmes de notations, notamment du fait que la musique est créée en manipulant directement le matériau sonore. Les systèmes de notations ne sont alors plus nécessaires. De plus, les musiques électroniques contemporaines se sont bâties avec des pratiques do-it-yourself (notamment dans les courants découlant du hip-hop et de la techno), avec des artistes n'ayant pas forcément de notions de solfège
et n'en ayant pas nécessairement besoin pour composer en manipulant des sons.
Toutefois, il est intéressant de remarquer comment la composition en MAO, passe aujourd'hui par de grandes interfaces graphiques ou les différents éléments se dessinent en temps réel, phénomène qui peut s'apparenter aux systèmes de partitions graphiques.
« Alors que le travail du compositeur d'hier s'opérait à plat, presque à l'arrêt, avec un crayon et une gomme, et cela jusque dans les années 1960, avec l'enregistrement pris
au sens large, autant des sons que des données de traitement, est née la nécessité de contrôler ce que l'on nomme le temps réel, et de jouer avec lui. »5
« La plasticité du son électronique rend inutile les médiations fastidieuses de l'écriture instrumentale. C'est sur lui et sur lui seul que devront porter les efforts de la composition musicale. On ne compose plus des notes sur des portées, on compose les ondes des oscillateurs électroniques. En rendant audible le flux électronique, les machines vont faire plus que de créer de nouveaux sons, elles vont entraîner la musique dans des devenirs imprévus. […] Il n'y a que les DJs et leurs descendants à avoir renoncé à l'écriture (il s'agit à vrai dire moins d'un renoncement que d'un pur et simple oubli). Ce qu'ils composent ne sont ni des sons ni des notes, mais des gestes et des machines : des gestes qui redeviennent concrets et des machines qui se mettent à ressembler à des instruments. […] La fixation des sons (qu'elle soit analogique ou digitale) implique une rupture profonde par rapport à leur représentation graphique. Le signe noté représente un son à produire,
et à interpréter. Il n'est pas lui-même cette interprétation. L'inscription physique ou le code digital (les 0 et 1 du chiffrage binaire des données) ne sont pas des représentations du son. Ils ne délivrent aucun sens mais une mise à disposition des sons eux-mêmes qui
les rend indéfiniment manipulables. Le code digital n'est pas le signe d'un son, mais le son devenu signe. »6

On peut toutefois noter quelques tentatives de notations graphiques dans les musiques électroniques, comme le projet Turntablism Transcription Method (TTM) de John Carluccio. Il s'agit d'une méthode qu'il a élaboré pour représenter visuellement la pratique du scratch.7 Ce système de notation s'apparente à des méthodes telle que la tablature en guitare (schématisant les doigtés et le rythme, et qui ne nécessite pas de connaissance du solfège).

Mais c'est bien également le design graphique qui peut apporter de nouvelles représentations visuelles liées à la musique, notamment par le biais des outils du design d'information et de la visualisation de données.
C'est le cas, par exemple, du projet Love Will Tear Us Apart Again de Peter Crnokrak.
Ce travail s'articule autour de la chanson Love Will Tear Us Apart de Joy Division.
Le designer a recensé tous les différents enregistrements et versions de ce titre et les met en relation avec tous les remixes et reprises qui existent. Il les présente ainsi via
un système graphique complexe mais facilitant la compréhension et rendu clair par un traitement esthétique minimaliste.8
On peut également citer Charting the Beatles du designer graphique Michael Deal.
Le projet consiste en une analyse de l'œuvre des Beatles et une retranscription visuelle
de certaines données dans une série de visuels. Deal a ainsi réalisé des diagrammes expliquant les plannings et les activités du groupe, les accords et tonalités les plus utilisés dans leurs morceaux, les autoréférences présentes dans les paroles de leurs chansons, leurs collaborations, les pourcentages d'implication de chaque membre…9

Il est alors évident que le domaine de la visualisation de données peut être un outil idéal pour analyser des phénomènes musicaux tels que le sampling et les réseaux musicaux qui s'en dégagent.
Le designer Jesse Kriss a ainsi réalisé le projet The History of Sampling, qui propose une visualisation graphique et interactive répertoriant des dizaines de morceaux de musique samplés et qui les met en relation avec les morceaux auxquels ils sont empruntés.10
Dans une approche similaire, on peut évoquer le projet de diplôme Digging in the Crate
de l'allemand Roland Loesslein, à l'Université des Sciences Appliquées d'Augsburg.
Il s'agit d'une installation interactive qui offre la possibilité d'explorer le sampling comme technologie de production, ainsi que les relations entre les morceaux sampleurs et samplés. Des visualisations de données dynamiques peuvent être parcourues à l'aide de platines modifiées. Les différentes informations apparaissent directement sur le vinyle qui est lu, suivant les passages de celui-ci où sont placés les samples, et d'autres informations s'affichent au mur, dont la projection est également contrôlée par le disque
et sa manipulation.11

Ces deux projets graphiques autour de la pratique du sampling évoquent alors les propos de Jon Hassell, trompettiste américain :
« Je pense qu'il serait intéressant de faire un disque dont tous les samples seraient identifiés et classés, un peu comme un travail d'archéologue. On aurait ainsi un graphique avec un code couleur qui nous apprendrait que telle grosse caisse, avec tel type de reverb, vient de tel studio en 1963. Je pense que ce serait une révélation pour les gens
qui pensent que le sampling se limite à coller sa voix par-dessus de larges extraits de disques enregistrés par d'autres. Ils verraient jusqu'à quel point la musique est devenue collage. »12





1. MOLES, Abraham, Annales des télécommunications,
t9, n°7-8, Paris, 1954

2. « 960 vinyles pour la réalisation du clip de Benga »,
in
Fluctuat [En ligne]
http://fluctuat.premiere.fr/Musique/News-Videos/960-vinyles-pour-la-realisation-du-clip-de-Benga-3312108

3. CASTANT, Alexandre,
Planètes sonores, Monografik, Blou, 2007

4. STOCKHAUSEN, Karlheinz, cité dans
Planètes sonores,
Monografik, Blou, 2007

5. DESHAYS, Daniel,
Pour une écriture du son, Klincksiek, Paris, 2006

6. GALLET, Bastien, « Techniques électroniques et art musical : son, geste, écriture », in
Volume  ! [En ligne]
http://volume.revues.org/2493

7. Système de notation présenté dans le documentaire

Scratch
(2001) de Doug Pray.
Voir le site internet de la méthode TTM.

8. Voir le site de Peter Crnokrak.

9. Voir le projet sur le site de Micheal Deal.

10. Voir le projet en ligne.

11. Voir le site internet du projet.

12. HASSEL, Jon, cité dans
Modulations, Une histoire
de la musique électronique
, Allia, Paris, 2010




↑ haut de page


Oscillogramme dans le logiciel Adobe Audition


Clip de I Will Never Change de Benga, rélisé par le studio Us en 2012.
Voir la vidéo en ligne.


Partition graphique de Mass Black Implosion de Marco Fusinato.


Partition graphique d'Electronische Studie de Karlheinz Stockhausen.


Méthode de notation graphique pour le scratch développée par John Carluccio.


Love Will Tear Us Apart Again de Peter Crnokrak


Projet Digging in the Crate de Roland Loesslein.
Voir la vidéo du projet en ligne.