electronica/idm

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Le genre naît à la fin des années 1980, quand de nombreux artistes, fatigués par l'uniformité qui se répand dans la house et la techno et leurs formules qui commençaient alors à devenir faciles, décident de changer la donne en retournant à l'expérimentation
avec des morceaux complexes et subtils, « composés dans la perspective d'une consommation intime et contemplative ».1

En 1992, un label de Sheffield, Warp, publie la compilation Artificial Intelligence, considéré comme le premier grand classique de l'electronica. Ce dernier constitue la base du genre, et le label la première grande référence, multipliant alors les sorties, notamment avec des artistes tel que Aphex Twin et Autechre.
La complexification des morceaux du label est telle qu'elle ne semble être possible que par des machines et dépasse largement tout ce qui est humainement possible. Il s'agit d'une musique mentale et alambiquée, aux traitements sonores teintés de minimalisme
et de micro-tonalités, et dont les structures et les harmonies pouvaient alors paraître mal agencées, décalées, désordonnées… dans un « rejet de toute ordonnance traditionnelle – mélodies que l'on pouvait fredonner, rythmes que l'on pouvait suivre
en tapant du pied ».1
Autechre continue alors à sortir des albums dans lesquels « les mélodies étaient comme répandues de manière erratique, comme si elles étaient dotées de libre arbitre, tandis que les minuscules figurines ou motifs rythmiques tissaient en arrière-plan une toile dénuée de toute structure évidente ».1
Leur musique doit beaucoup aux erreurs et aux traitements machiniques.
« Ils mêlent le bruit concassé au silence habité, et les rengaines de garnements impossibles aux ronronnement des lointaines galaxies. […] Ils s'amusent pendant des mois et des mois avec leurs machines. Ils fouillent. Ils trifouillent. Ils se mettent en écoute, sans a priori, ouverts à l'accident qui fait ou défait la mélodie, au choc sonore
qui survient lors d'une programmation malencontreuse. Ils aiment l'erreur. »2
Pendant ce temps, Aphex Twin, génie de la musique électronique parfois comparé à Mozart, continue ses expérimentations, repoussant les possibilités des machines, et mélangeant tout ce qui lui passe sous la main : il devient impossible de le ranger dans une catégorie et chacun de ses morceaux est différent, surprenant à chaque fois autant
la presse que le public. Dès 1993, il fonde le label Rephlex, ce qui ne l'empêche pas de publier des disques sous d'autres organismes et sous divers pseudonymes.

De nombreux labels indépendants se développent alors et s'organisent selon leurs propres réseaux.
Ninja Tune et Mo'Wax se lancent dans l'aventure electronica, en se basant pour leurs productions sur l'abstract hip-hop qu'ils sont en train de développer, avec des artistes comme Coldcut et DJ Food.
Le label Mille Plateaux (nom inspiré par Deleuze et Guattari) est fondé en 1993 en Allemagne et se fait connaître pour ses productions minimales, expérimentales et glitch (genre utilisant les dysfonctionnements sonores des machines). Ils hébergent entre autres Microstoria chez qui « les cliquetis et les bourdonnements mécaniques, les ronronnements métalliques pareils à l'écho de cloches lointaines sont agencés en de chaleureux tableaux sonores », mais aussi Oval, qui « manipulait les surfaces des CD, les rayait ou les détériorait à l'aide de peinture pour en échantillonner les sons résultants ».1
C'est la même année que débute la discographie de Robin Rimbaud alias Scanner.
Ce dernier utilise dans ses compositions des conversations piratées qu'il capte sur les ondes radio avec son scanner (d'où le nom). Il pénètre ainsi l'intimité des gens, leur volant des conservations privées, créant ce qu'il nomme des « polaroids sonores ».

Dans un tout autre style, Boards of Canada sort en 1998 Music Has the Right to Children (sur Warp) dont les tonalités polychromes et liquides perdent l'auditeur dans une musique très atmosphérique, influencée par Brian Eno, l'abstract hip-hop mais aussi le post-rock.
Cela montre à quel point, à partir de cette période, l'electronica se métisse de tous genres et devient difficile à définir.

Plus tard, dans les années 2000, dans un style proche de Mille Plateaux, émerge le label Raster Noton, dont la place est considérable autant dans le domaine de l'IDM que celui des arts plastiques et du design graphique.
Ses artistes (et notamment Carsten Nicolaï, Ryoji Ikeda, Frank Bretschneider et Taylor Deupree) créent « une musique qui tiendrait plus de l'orchestration des sons de notre quotidien mécanique et numérisé (le ronronnement du frigo, les cliquetis d'octets du calcul de l'ordinateur, le souffle de l'air conditionné), d'un art plastique ou même de l'architecture, que de l'expression de l'artiste »3
Leurs travaux sont le fruit d'un remarquable travail sur les signaux (aussi bien visuels que sonores), qui sont traités avec un minimalisme absolu à base de textures et fréquences (travail sur l'infinitésimal), dans une rigueur géométrique proche du domaine scientifique. Ils repoussent encore l'immatérialité et l'abstraction du glitch en bouclant les machines sur elles-mêmes (des machines qui n'ont pas été conçues pour générer des sons) et en faisant s'exprimer leurs fonctionnements et dysfonctionnements. « La machine ne donne
à entendre que l'écho de sa propre matérialité. »4





1. REIGHLEY, Kurt, « Downtempo », in Modulations,
Une Histoire de la musique électronique
, Allia, Paris, 2010

2. KYROU, Ariel,
Techno Rebelle, un siècle
de musiques électroniques
, Denoël, Paris, 2002

3. LELOUP, Jean-Yves,
Digital Magma, Scali, Paris, 2006

4. GALLET, Bastien,
Le Boucher du prince Wen-Houei,
Musica Falsa, Paris, 2002





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