techno

----

La techno naît au début des années 1980 à Detroit, « ville où la chaîne de montage était devenue paradigme de la vie moderne ».1
En effet, la naissance du genre est beaucoup liée au contexte social de son berceau.
« Le Detroit des années 1970 et 1980 est un espace dévasté par le déclin de l'industrie automobile, un taux de chômage en pleine ascension et des coupes franches dans les programmes sociaux de la municipalité ».1
C'est une ville frappée par la désindustrialisation et l'exode blanc vers les banlieues aisées (où sont parties les usines), une quasi ville-fantôme laissée à l'abandon, délabrée et chaotique. Rien d'étonnant, donc, à ce que les protagonistes de la techno développèrent une musique de machines : « Les machines… L'idée des machines, de l'électronique,
est évidente. Surtout venant de Detroit. Ici, tout le monde a un parent qui travaille dans l'industrie. C'est une influence directe, parfois très froide, dénuée d'émotion. […] On a pris l'idée des machines, pas forcément le synthé mais le son du synthé et on a créé nos propres sons, et tous ces sons venaient inconsciemment de l'univers de l'industrie, de la mécanique, des machines, de l'électronique. […] Cet environnement nous a créés. »2

Ce sont trois adolescents noirs, Juan Atkins, Derrick May et Kevin Saunderson (surnommés les Belleville Three), excellents bricoleurs électroniques et mélomanes,
qui vont poser les bases du mouvement.
Au début des années 1980, ils écoutent intensivement les émissions de radio d'Electrifying Mojo, qui passe énormément de soul et de funk (Parliament entre autres), mais aussi le groupe allemand Kraftwerk. En 1981, lorsque ceux-ci sortent Computer World, il se met même à le passer en intégralité toutes les nuits. Ces groupes vont laisser des traces chez les trois jeunes hommes et constituer leurs influences premières. Derrick May parlait d'ailleurs de la techno comme « George Clinton et Kraftwerk coincés dans un ascenseur avec un séquenceur pour seule compagnie ». Il oublia de préciser qu'ils auraient pu également avoir un livre d'Alvin Toffler. En effet l'autre influence non musicale des Belleville Three est ce sociologue et ses écrits où la technologie était décrite « comme un moyen de se libérer des hiérarchies et des systèmes centralisés,
de créer sans s'inféoder aux institutions, aux multinationales du disque ou de l'informatique, aux pouvoirs… »3 Un chapitre de son livre The Third Wave, intitulé
Techno Rebels, fut même emprunté par Atkins pour donner son nom au courant.
Les Belleville Three vont alors synthétiser toutes ces influences et commencer à mixer dans des soirées. Dès 1981, Juan Atkins forme le duo Cybotron avec Rick Davis et ils sortent Alleys of your Mind puis Cosmic Cars (1982) qui passent alors beaucoup dans l'émission de Mojo.
Mais c'est surtout en 1985, lorsque Cybotron se dissout et que Juan Atkins devient Model 500 et fonde le label Metroplex, que la techno naît. Il « dissimula son identité derrière un voile de machines » et sortit le morceau No UFO's, mélangeant science-fiction sur fond de culture urbaine.1
Comme lui, tous les pionniers de la techno vont prendre les choses en main, et, dans un esprit do-it-yourself similaire à celui du punk, fonder leurs propres labels, sortir leurs vinyles, organiser leurs réseaux… En plus de cela, ils vont se camoufler dans l'anonymat, avec des masques, un nombre vertigineux de pseudonymes (pour que la ville de Detroit paraisse plus grande), et des pochettes de disques vierges (plus par nécessité financière qu'esthétisme).
Le mystère entretenu, beaucoup crurent que la techno était une musique faite par des blancs. Le public noir s'en détournait, et les pionniers se sentirent aussi bien exclus
de leur communauté que par les maisons de disques (dont les propriétaires étaient
en majorité blancs).
« La lutte acharnée pour le contrôle de la techno n'est que le simple reflet de la chronique torturée des rapports entre races dans la ville qui l'a vue naître ».1

Mais malgré ces problèmes au sein de Detroit et sa faible réussite aux États-Unis,
la techno trouva des échos favorables en Europe et notamment en Angleterre. Pour preuve la compilation Techno ! The New Dance Sound of Detroit parue sur un label britannique
en 1988. Dès cette année, les pionniers se mirent alors à traverser l'Atlantique pour aller performer là-bas.

Detroit fut alors abandonné par ses pères fondateurs mais trouva un renouveau un peu plus tard en la personne de Richie Hawtin, venant de la rive opposé du Detroit River,
côté Canada. Sous le pseudonyme Plastikman (parce qu'il recouvra entièrement un immeuble désaffecté de plastique noir pour une soirée), il revitalisa la scène et importa « pratiquement à lui tout seul la culture rave à Detroit ».1
Il sort de nombreux disques inventifs sous plusieurs alias, s'attire un large public et,
du fait d'être blanc, bouleverse les caractéristiques raciales du mouvement.
Mais pendant ce temps, les artistes du label Underground Resistance « tentaient de remporter la course à l'authenticité identitaire noire », et créèrent une compétition bon enfant et émulatrice avec Hawtin.1
Ces nouveaux activistes (notamment Mad Mikes, Jeff Mills et Robert Hood) adoptaient une attitude radicalement rebelle. Ils revendiquaient une philosophie de do-it-yourself et d'indépendance extrême, et multipliaient les attaques contre les maisons de disques. Mais ils avaient également une approche beaucoup plus politique de la techno avec
de nombreux messages adressés aux pouvoirs et aux forces de l'ordre.
Le « QG » du label, Submerge, encore debout aujourd'hui, est un building où l'on trouve
un magasin de disques ouvert uniquement sur rendez-vous et où certains vivent.
Submerge se trouve dans un quartier désolé où peu de gens ne se rendent. On y trouve des vinyles extrêmement rares, pressés à peu d'exemplaires, disponibles seulement
à cet endroit. Aux étages se trouvent des bureaux, un studio et des appartements (notamment celui de Juan Atkins).4

Plus tard, Carl Craig et son label Planet E, fit le lien entre l'époque des pionniers et
les différentes vagues qui suivirent. Il parvint à populariser un peu plus la techno aux États-Unis, avec une quantité importante de sorties très créatives et talentueuses,
et des productions très variées.

Parallèlement à la techno originelle, s'était développé à Detroit un courant nommé Ghettotech ou Booty. Issu de l'electro et du hip-hop, ce style proposait des voix scandant des paroles misogynes à la gloire du sexe. Les productions d'artistes comme DJ Assault ou DJ Godfather déferlèrent sur les radios et dans les voitures, plus que la techno n'avait jamais pu le faire. Celle-ci n'avait en effet jamais réussi à vraiment enflammer le public américain, ses protagonistes butant sur une multitude de facteurs qu'ils ne pouvaient contrôler (marché l'abandonnant, racisme…) ou d'autres imputables à eux-mêmes (anonymat, indépendance…).

Cependant, la techno avait fait son chemin en Europe et continua à se développer
dans les années 1990.
Tout d'abord en Angleterre où elle se mélangeait à la house et participait au mouvement rave, mais aussi à Berlin où la techno de Detroit fut reprise, puis évolua, se transforma
et muta avec d'autres genres.
Le plus marquant de ces genres est sans doute le dub-techno initié par le label Basic Channel avec des artistes comme Robert Hood et Maurizio.
« Basic Channel appliqua les traitements du dub aux pulsions rythmiques et aux textures de la techno de Detroit et de la house de Chicago pour livrer une nouvelle expression de
la spatialité mettant en jeu les dimensions microsoniques de la mémoire du vinyle usé. »5
Ce courant sera alors à l'origine de la techno minimale, spécialité berlinoise ayant explosée mondialement, et qui « propose une structure et un champ spectral plus minimaliste, un tempo plus lent (de l'ordre de 115 à 130 bpm), des variations rythmiques et séquentielles moins fréquentes, une couverture du spectre plus découpée et des basses qui s'étirent en contraste avec des percussions très brèves et aigües ».6
On retrouve dans ce style Richie Hawtin, faisant évoluer ses productions vers un son
plus minimaliste, sombre et sophistiqué, et qui devint un des chefs de file de la techno minimale, notamment en créant son label m_nus, véritable vivier du mouvement.





1. RUBIN, Mike, « Techno », in Modulations, Une Histoire
de la musique électronique
, Allia, Paris, 2010

2. MAY, Derrick, cité dans
Techno Rebelle, un siècle
de musiques électroniques
, Denoël, Paris, 2002

3. KYROU, Ariel,
Techno Rebelle, un siècle de musiques
électroniques
, Denoël, Paris, 2002

4. Une anecdote détaillée de la visite du bâtiment est donnée
dans
Techno Rebelle, un siècle de musiques électroniques.

5. ESHUN, Kodwo, et Edward, GEORGE, « Lignes fantômes »,
in
Sonic Process, une nouvelle géographie des sons,
Éditions du Centre Pompidou, Paris, 2002

6. Collectif, « Techno Minimale », in
Wikipédia [En ligne]
http://fr.wikipedia.org/wiki/Techno_minimale





↑ haut de page

playlist